Mise en plein air
Après des tests en plein air à 2m de haut près de l'atelier, qui ont servi à valider la chaîne de mesure, le comportement à l'orientation et le calage de l'hélice, de véritables essais ont eu lieu en haut d'un mât de 12m, chez KrugSARL dans le Lauragais.
Objectifs des essais
La mise en plein air du prototype en haut d’un mât de 12m, sur un site venté, a plusieurs objectifs :
- Faire fonctionner l’hélice dans un vent propre sans contrainte spatiale sur le sillage : la soufflerie, trop petite, n’avait pas permis de bien évaluer le fonctionnement de notre tripale. Les mesures devront permettre de déterminer son Cp (rendement) ainsi que son Ch (poussée, grâce à la détermination du vent de début de furling).
- Démontrer par la pratique les avantages mécaniques et aérodynamiques : une hélice travaillant en haut du mât à Cp constant, et une turbine au pied du mât dont le couple est maximum au démarrage, et le mouvement 10 fois plus rapide que l'hélice de l'éolienne.
- Démontrer par la pratique que la hauteur du mât joue très peu sur le rendement du système.
- Se familiariser avec les problématiques de mesure en plein air et de stockage des données.
- Se familiariser avec les problèmes d’interface éolienne à dépression / mât tubulaire.
- Enfin ces essais ont donné plus de visibilité au projet, ainsi qu'un aboutissement logique pour le prototype !
Description du site
Le mât prêté par Olivier Krug se trouve sur son site d’essai à Avignonet-Lauragais, à 30km au sud de Toulouse. Ce site possède trois installations, toutes sur mât haubané basculant : un mât de 24m de haut, et deux mâts de 12m. Sur le mât de 24m tournait une WestWind. Le second mât de 12m était prévu pour une éolienne Piggott de la licence STER, qui n’était pas montée.
Ce site de test jouxte un champ éolien de 12 grandes machines, qui totalisent 12MW de puissance installée. Récemment un champ photovoltaïque de 4MWc a été construit entre les éoliennes. Ces infrastructures sont gérées par la société Boralex, qui possède une antenne dans les locaux attenant ceux de KrugSARL. Les vibrations étaient bonnes !
L'installation
Le mât que nous avons utilisé est un mât tubulaire haubané, classique, auquel nous nous sommes adaptés. Il est constitué de deux tubes de 6m40 de long, 105mm de diamètre intérieur. Ces tubes sont reliés par deux demi-coquilles qui les maintiennent par serrage.
Ce mât comporte deux nappes de 4 haubans (une à 6m, une à 10). Il y a 4 plots d’ancrage en béton, ainsi que le plot central sur lequel se trouve le pied de mât qui permet le pivotement de l’ensemble.
L'interface éolienne/mât
Au pied du mât, notre installation doit permettre la fixation de la turbine et le passage de l’air. Nous avons donc construit une structure en tube métallique qui se prend sur le pivot de l’ancrage et maintient le mât à 70cm du sol par serrage. Cette structure permettra également de soutenir le coffret contenant les électroniques, et le support de l’alternateur accouplé à la turbine. Sa solidité est impérative puisqu’elle reprend tous les efforts de compression du mât ainsi que les efforts tranchants qui surviennent au début de la levée. Elle a été réalisée par soudure de tubes carrés de 4cm de côté.
En tête de mât il faut assurer l’arrimage de l’éolienne, permettre son orientation et laisser passer l’air du mât vers le rotor avec le minimum de pertes de charge. Notre solution est rudimentaire mais efficace : le tube de notre éolienne vient coiffer un tube fixe et garni de graisse qui sera solidaire du mât.
Deux rondelles de téflon viennent faciliter le contact en rotation. Ce pivot est suffisamment étanche à l’air, et n’oppose aucune résistance à l’écoulement interne. L’attache sur le mât est réalisée par deux « U » en métal, reliés par du tube soudé, que l’on vient serrer en tête de mât.
A noter un ajout de dernière minute qui s’est montré primordial pour résoudre les problèmes sereinement et sauvegarder le prototype : un système corde-poulies, que l’on actionne depuis le sol, et qui permet de replier la dérive pour mettre l’hélice de l’éolienne en drapeau (furling forcé). La contrepartie de ce système de sécurité est que la corde descend le long du mât et qu’il faut lui faire passer les haubans à la main quand l’éolienne s’oriente...
Enfin, d’une manière générale, l’étanchéité finale est faite partout en appliquant du joint silicone aux endroits susceptibles de laisser entrer l’air (jonction des deux tubes de mât, tête et pied de mât).
Une génératrice de courant pour mesurer la puissance turbine
Pour mesurer la puissance disponible sur l’arbre turbine, le plus simple est d’y accoupler un alternateur et de mesurer la production électrique. La petite taille de notre éolienne est clairement un handicap : en plus d’avoir de faibles puissances, on fonctionne à des régimes de rotation élevés. L’hélice de l’éolienne tourne comme toute éolienne tripale de cette taille, à TSR d’environ 7, soit approximativement 600 RPM à 7m/s de vent. En revanche la turbine, qui a été dessinée pour un rendement optimal, doit tourner à 10 fois la vitesse de rotation de l’éolienne, pour tout vent (ce qui donne en gros une valeur RPM égale à 1000 fois la vitesse du vent en m/s).
En prévoyant un vent maxi de 10m/s, un rendement maxi de 0.2, la turbine ne lui donnera pas plus de 200W de puissance mécanique. Il nous faudrait donc idéalement un moteur électrique réversible de 200W pour 10.000 tours/min. Pas facile à trouver…
Notre choix s’est fait par élimination, et s’est porté sur un moteur courant continu de chez Maxon, 200W pour 5400 tours/min. On nous a assuré un fonctionnement réversible avec un rendement de 75% à régime nominal (pour info le fonctionnement en moteur est donné à 94% de rendement, voir la fiche technique et la technologie). Il s’est avéré surdimensionné, ou plus exactement ne tournant pas assez vite à puissance donnée : dissipant 50W sur 200 à 5400 tours/min, il s'est avéré impropre à bien mesurer la puissance turbine. En effet cette dernière, à 5000 tours/min (6m/s de vent), fournissait idéalement aux alentours de 30W mécaniques... Les pertes moteurs suffisaient donc à la prendre la bonne puissance et à l'amener sur son régime nominal. Toute production électrique supplémentaire surchargeait la turbine et restait donc marginale.
Ainsi La génératrice choisie produisait 1, dissipait 2 et ralentissait trop la turbine. Ce n'était pas un choix approprié à notre système.
L’accouplement turbine-moteur est un accouplement direct souple, réalisé à l’aide de cylindres bloc en caoutchouc et de vinyle (par chance l’axe moteur s’est avéré faire 8mm de diamètre comme celui de la turbine). Des sangles maintenant le haut du moteur ont été installées au pied levé suite aux terribles vibrations observées à hautes vitesse. Elles les ont totalement supprimées.
Pour charger la génératrice afin de produire du courant et de mesurer la puissance, nous l’avons simplement connectée à des résistances de puissances. En tout, 5 résistances 50W/56Ohms branchées en parallèle, pour une résistance équivalente d’environ 11 Ohms et une puissance admissible de 250W. Un pont diviseur de tension a été ajouté pour pouvoir prendre la tension sans dommage avec le datalogger.
La chaîne de mesure
Afin d’avoir un maximum de visibilité sur le fonctionnement de l’éolienne, il a été décidé de concevoir une petite chaîne de mesure, avec séquencement et stockage des données. Voici l’ensemble des mesures et leur fonction :
Le datalogger que nous avons choisi est un datalogger CR800 de chez Campbell Scientific. Les mesures seront déclenchées toutes les 6 secondes, et stockées toutes les minutes par moyennage de 10 échantillons. Cette manière de procéder permet à la fois de ne pas saturer la mémoire du datalogger, et de s’affranchir de dispersions trop grandes sur les nuages de points du fait des régimes transitoires.
LES RESULTATS OBTENUS
les résultats ont été obtenus en deux temps. Un premier ensemble de mesures a été pris pendant les deux jours qui ont suivi le montage, par vent Ouest/Nord-ouest. Suite à un problème rencontré sur la mise en drapeau, qui empêchait la dérive de revenir à sa position neutre, l’éolienne a été démontée une semaine puis remontée pour 5 jours de mesures par vent Est/Sud-est.
Il va de soi que quelques jours de mesure sont insuffisants pour caractériser le comportement d’un système éolien. Les résultats suivants ne donnent que des tendances. Ils ne permettent pas, notamment, d’avoir du recul sur la turbulence du vent en fonction de sa direction dominante. Il est apparu aux essais fumigène que le vent Est/Sud-est qui nous a donné presque toutes nos mesures était particulièrement turbulent, et nous savons que la turbulence affecte d'autant plus une éolienne qu'elle est petite. Aussi des mesures plus fines du vent sont indispensables pour mieux apprécier les points de fonctionnement obtenus, et les ramener à un niveau de turbulence standard.
SYNTHESE
Au delà du rendement qui n'est qu'un paramètre parmi d'autres pour évaluer la pertinence d'un système, voici une synthèse des résultats que nous tirons de notre campagne d'essai plein air chez KrugSARL (pour voir toutes les mesures correspondantes, télécharger le compte rendu d'essai au bas cette synthèse):
- Une hélice libre en haut du mât, qui travaille à TSR constant (à l’augmentation près du Reynolds) quelle que soit la puissance prise à la turbine.
- Une turbine en pied de mât qui tourne environ 10 fois plus vite que l’hélice, constituant un multiplicateur naturel .
- Une turbine qui offre un couple maximum au démarrage et décroissant ensuite (vérifié à la main !), contrairement à l’hélice tripale qui a un couple au démarrage quasi nul au regard de son couple à vitesse nominale. Ce point est essentiel si l’on souhaite utiliser l’énergie mécanique en prise directe, et exploiter les faibles vents.
- Une turbine qui présente une courbe de puissance plus large qu'une hélice tripale, offrant encore 70% de puissance si on la freine à la moitié de sa vitesse nominale.
- Un bruit turbine significatif (sifflement) qui aurait pu être réglé par un éloignement roue mobile/distributeur.
- Un bilan de puissance vent-> turbine un peu en deçà des attentes, notamment à cause du rendement hélice plus bas que prévu. Ce point peut s’expliquer par une épaisseur de pale trop importante (d’environ 30%), un calage de pale sans doute non optimal, et un vent très turbulent sur site. Quoi qu’il en soit notre éolienne d’1m50 fournit une puissance au sol équivalente à une éolienne classique d’1m à 1m20, avec une masse similaire (environ 10kg), car elle est très légère et pourrait l'être encore plus avec une conception de série.
- Un fonctionnement fascinant à observer, avec la magie de la puissance mécanique au sol
- Une possibilité de faire au moins aussi bien que les éoliennes de pompage traditionnelles (avec une pompe tournant plus vite), car l'éolienne à dépression peut aller chercher le vent plus haut et offre une extrême souplesse de fonctionnement et d’utilisation de l’énergie, à régime constant. L'absence de transmission rigide, la souplesse de l'alliance hélice tripale + turbine en terme de régime, permet en outre d'exploiter les vents forts comme les vents faibles.
- Le rapport de test avec toutes les mesures est disponible ici:
Ces résultats incitent à la fois à tester la machine dans des vents plus réguliers et à optimiser le calage hélice en vent réel.
Les difficultés rencontrées pour trouver une génératrice électrique qui s’adapte au fonctionnement turbine en puissance/vitesse, vient de la petite taille de notre prototype. Une éolienne à dépression homothétique de 4m50 de diamètre fournirait une puissance typique d’1kW pour 2000 RPM turbine, ce qui offrirait de nombreuses solution pour la génération électrique ou l’utilisation mécanique en prise directe (compression d’air, pompage d’eau, etc.).
Il est à noter enfin que l’augmentation de la taille de la machine augmentera nécessairement le rendement global, dans une proportion plus grande qu’une éolienne classique, puisque dans le cas de cette éolienne la transmission par air bénéficie de l'augmentation des sections de passage, en conservant les vitesses.
Le bilan de puissance
Grâce aux mesures récoltées nous avons pu, malgré une génératrice inadaptée, remonter à la puissance mécanique disponible sur l'arbre turbine (détails dans le rapport de test, à la fin de cet article). Voici ce que nous avons obtenu:
Cette courbe de puissance correspond globalement à celle d’une éolienne classique d’1m à 1m20, selon le modèle, si tant est que l’on puisse comparer un Cp mécanique à un Cp électrique. C’est un résultat encourageant sachant que notre prototype d’1m50, très léger, est équivalent, d’un point de vue masse en haut du mât, à une éolienne de cette taille (une dizaine de kilos). Autrement dit nous obtenons le même ratio Puissance/Masse qu’une éolienne classique, tout en ayant l’énergie disponible sous forme mécanique au pied du mât.
Bien entendu la poussée de notre machine est équivalente à celle d’une éolienne d’1m50, et nous savons que cette grandeur est le paramètre principal dimensionnant le mât, donc un contributeur non négligeable dans le prix de l’installation. Mais la simplicité mécanique de notre éolienne, la fiabilité de son fonctionnement pneumatique, la possibilité de l’installer sur un mât très élevé, en fait à notre avis une candidate sérieuse au pompage mécanique de l'eau.
Comme il est difficile d’avoir des informations sur les rendements mécaniques des éoliennes multipales de pompage, effectuons la comparaison du Cp obtenu avec les Cp électriques de quelques petites éoliennes :
Bien sûr la comparaison en rendement pur n'est pas à l'avantage de notre machine. Mais nous savons qu'elle n’est pas optimale car notre hélice n’est sans doute pas au meilleur calage, qu’elle est un peu épaisse au regard de la théorie (30% de trop en bout de pale), et que le vent à l’origine de ce résultat était hautement turbulent. Il semble raisonnable, en corrigeant ces points, qu’on atteigne des valeurs 30 à 35% plus élevées, c'est-à-dire qu’on obtienne une courbe de puissance équivalente à une éolienne de 1m30.
CONCLUSION
Quoi qu’il en soit Le projet s’est avéré passionnant et nous sommes vraiment heureux de l’avoir mené à son terme, sans problème matériel majeur. La conception de cette éolienne est très intéressante car elle résulte d’un compromis subtil entre aérodynamique externe et interne. La récupération de l’énergie par la turbine doit aussi être optimisée pour faire travailler la pompe éolienne là où elle est efficace. Nous n’aurions pas obtenu tous ces résultats sans les nombreuses études et réalisations préalables de Jean Andreau.
Nous pensons aujourd’hui avoir « déterré » cette belle invention, et espérons qu’elle reprenne vie. A minima, ce système est d’un grand intérêt technique et pédagogique. Avec quelques efforts d’optimisation à mener, il pourrait même offrir, de manière industrielle, une solution élégante et robuste pour l’utilisation de l’énergie du vent sous forme mécanique, notamment pour le pompage de l'eau, ou le stockage d'air comprimé.